Très rare lettre de Jakob Gronovius à Henri de Valois.
Jakob Gronovius (Deventer, 1645/1716)Très rare et longue lettre de Gronovius à Henri de Valois, importante pour sa biographie où nous voyons qu'à l'âge de 29 ans il a déjà visité Paris, l'Espagne, Florence et Pise où il se trouve.
Traduction : "J’aimerais assez pouvoir espérer autant qu’être sûr, que vous êtes au fait de la misère noire dans laquelle je me suis trouvé en Espagne, vous l’homme le plus versé dans les arcanes des sciences, envers qui j'ai une dette immense pour un commerce des plus agréables, si étroit, voire quotidien, à travers vos entretiens renouvelés chaque jour. Pour moi dès que j’ai pu saisir l’occasion de le faire savoir, je l’ai fait et j’ai confié une lettre déclarant tous mes biens à un noble Allemand issu de l’entourage de l’ambassadeur de l’Empereur, qui prenait la route vers Paris. Mais comme après tout ce temps je n’ai pu découvrir si vous l'avez reçue, quelque chose me fait douter de la fidélité de cet homme alors que je n’ai aucun doute ni soupçon sur votre bienveillance et dévouement à mon égard. Ce serait vraiment une perversion de ma part de juger que vous qui durant mon séjour à Paris et dans mon dernier voyage que je fis de là en Espagne (pour y perdre une année pleine) m’avez entouré et choyé, ne m'accorderiez pas la même faveur en mon absence.
C'est pourquoi dans cette disposition d'esprit, à nouveau cette fois-ci je vous prie humblement de ne jamais refermer le cœur que vous m'avez ouvert une fois, à moins de le mériter par une faute grave de ma part et un manquement à la générosité. Et pour que vous sachiez que j'ai tout fait pour l'éviter, dès que j'ai pu le faire avec décence, j'ai demandé un passeport à votre ambassadeur d'Espagne, et pour résumer en un mot tout ce voyage et cette peine, je me suis plongé et terré à la Bibliothèque Laurentienne et dans les autres manuscrits qui sont à Florence. Je prie bien Dieu qu'il prolonge votre vie - d'où me vient aujourdhui toute gratitude - assez pour que vous soyez témoin de mon travail. Sans parler d'Arrien, de Macrobe et d'autres que j'ai pu jusqu'ici examiner soigneusement, vous devrez reconnaître enfin que les cinq premiers livres de Polybe n'ont pas été à ce jour étudiés. L'influence et la bienveillance unique d'Antonius Magliabequius - tout à fait propre à me relever dans ma position si misérable - m'a procuré la possibilité de m'y consacrer sans être importuné ni dérangé. Je n'ai rencontré personne d'autre que cet homme - vous mis à part - menant des études avec plus d'ardeur, de jugement, de constance désintéressée. Dès mon arrivée, grâce à son intervention, le Grand Duc de Toscane m'a accordé pleine liberté d'utiliser ce grand appareil de livres à faire pâlir d'envie votre gardien de trésor.
Croyez-moi, Monsieur, il ne s'est passé de jour, sans que l'on parlât de vous. Et l'on ne parla d'autre chose que de votre excellence et suprématie en science et en philologie dans les deux langues. Bien que ce fût toujours et partout ma pensée, ce fut une vive satisfaction de la voir approuvée et confirmée par un homme éminent et tout dévoué aux Muses.
Nous avons souvent discuté entre nous du second exemplaire manuscrit de Socrates (car il y en a deux d'une antiquité vénérable, le premier de forme carrée et petit, le second très grand). Mais ignorant lequel avait utilisé Herminius, nous avons abandonné ce sujet. Entre temps il m'a surtout demandé, lorsque je vous écrirais, de vous faire part abondamment de son intérêt pour vos savants travaux. C'est ce que je crois devoir faire à présent pour que d'une part votre vieillesse puisse profiter comme de juste du jugement de cet homme raffiné et d'autre part pour que vous vous rendiez compte que mon existence est transformée.
En effet après avoir accumulé ses immenses bienfaits, Son Excellence n'eut de cesse que ne je fusse admis parmi les élèves de l'Université de Pise. Cette affaire prit plus de deux mois si bien que j'ai été contraint d'accepter. En cela il me faut - plutôt souhaiter que me persuader pouvoir répondre à l'attente que l'on a de moi car jamais moins que maintenant je n'ai songé à une telle cérémonie et je n'ai jamais été autant démuni des instruments qui sont exigés là-bas. J'y tâcherai pourtant malgré mon peu d'inclination.
Pour le moment on édite d'Henri Norisius, auteur de l'Histoire de Pélage, une lettre contre votre Garnier qui il y a peu de mois à mis au jour les Oeuvres de Marius. Elle est dédiée à l'Eminent Magliabequius : pourtant ce dernier m'a enjoint - si un jour cela était évoqué entre Garnier et vous - d'obtenir que vous confirmiez à Garnier qu'il n'est pour rien dans ce libelle et même n'en a rien su. Enfin si Garnier veut se défendre, qu'il ne l'entraîne pas à sa suite dans ce débat. Ce que je vous supplie d'ajouter à tous vos services et faites que je sache que ces feuilles sont venues en vos mains et comment je puis me rendre utile envers vous. Portez-vous bien, très fidèle Valois, avec toute votre famille et comptez-moi comme un des vôtres."
[Antonio Magliabechi est un érudit bibliophile florentin. Né en 1633 il fut nommé bibliothécaire de Côme III Grand-Duc de Toscane (1673-1714). Durant sa vie il acheta 30 000 volumes qui entrèrent ensuite à la Bibliothèque Nationale de Florence. Il mourut en 1714.
Enrico Noris : Né à Vérone, il était d'origine irlandaise. Il entra dans l'ordre des Augustins, professa la théologie dans plusieurs maisons de son ordre. Il travailla longtemps à Rome où il publia en 1673 Une histoire du Pélagianisme. Le duc de Toscane le fit venir à l'université de Pise un temps. Il fut nommé par la reine Christine de Suède, membre de l'Académie qu'elle avait créée dans son palais, et se rendit à Rome sur l'invitation d'Innocent XII, qui le fit cardinal en 1695 avec le titre de cardinal-prêtre de Saint-Augustin et le nomma bibliothécaire du Vatican. Il meurt en 1704, alors qu'il écrit une Histoire des Donatistes. Après sa mort, l'Eglise condamna son oeuvre pour jansénisme].
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