Proust annonce Du Coté de chez Swann à Albert Nahmias
Marcel Proust (Paris, 1871/1922)Belle lettre de Proust, adressée à son secrétaire Albert Nahmias dans laquelle il mentionne son travail et annonce son premier volume : Du Coté de Chez Swann.
"Mon petit Albert
Un petit mot excessivement court pour vous dire mille chose !
1° affaires. Naturellement, vous avez raison ! Avec ma naïveté j'allais refaire la même chose que pour l'appartement d'Albufera que je vous ai raconté. Mais je le laisse cependant faire parce que cela me permet un emprunt déguisé, que je ne voudrais pas faire comme emprunt. Tandis qu'il est tout naturel que dans une affaire aussi compliquée je ne lui rend pas immédiatement la différence. Je ne sais pourquoi vous avez parlé de cela à la Bourse je vous avez dit que c'était courant et du même moment que mon ami qui est aussi expérimenté que je le suis peu me le disait, c'est absolument simple. D'ailleurs il n'y a nulle vente. Tout simplement à la liquidation (vous pouvez en prévenir Léon) je ne me ferai pas reporter. Pour une partie des titres (je pense 300 Crown Mines et 400 Rand Mines, mais j'attends pour vous le confirmer une lettre de lui) je lèverai ces titres, c'est à dire que je ferai verser par le Crédit Industriel la somme que mon ami me dira et on remettra les titres en échange. Tout se fera à mon nom. Il est absolument inutile de dire à Léon que cela ne regarde en rien que ce n'est pas moi qui garderai les titres. Ce n'est pas du tout parce que cela m'humilie de ne pas avoir d'argent que je ne veux pas en parler à Léon. Car il est tout naturel que j'aie gardé ces titres trois mois et ne puisse plus les conserver. Mais c'est entièrement inutile. Pour le reste je paierai la différence et ne me ferai reporter pour rien. Car dans l'intervalle mon frère a su mes frasques et on m'a fait promettre d'en rester là.
Le nom de mon frère [Robert Proust] que j'ai ainsi revu, m'amène à vous gronder sur vos délicatesses exagérées, car il m'a dit que vous lui aviez envoyé pour sa fille une merveille. Il est tellement confus que... il ne vous a pas écrit ! Il voulait ... enfin je ne sais pas ce qu'il voulait, mais il est reconnaissant à un point !
Albert, vous êtes mille fois trop gentil. Imaginez-vous que dernièrement j'ai cru que vous ne l'aviez pas été en quelque chose. Je ne vous l'écris pas et je ne l'ai pas écrit parce qu'étant trop malade pour vous voir, et sachant par expérience combien vous êtes susceptible, je ne voulais pas risquer de vous fâcher. D'ailleurs vous étiez si gentil que ma reconnaissance me fermait la bouche. Car pour mon livre, pour ces Mines etc. vous avez été si gentil ! Ce n'est tout de même pas de votre faute si les Rand Mines n'ont pas les cours qu'elle devraient et que de plus riches qui pourront les attendre verront certainement. Avez-vous vu Marcel Plantefignes ? Vous devriez lui demander s'il avait reçu ma lettre et j'aurais bien voulu le savoir. Naturellement ne lui écrivez pas pour cela, simplement quand vous le verrez.
J'ai - si vous aimez encore mon travail - beaucoup plus encore à vous donner à faire que d'habitude ! Un vrai volume ! Si cela vous plaît je vous ferai signe prochainement. Ne mettez plus tous ces cachets sauf dans les cas secrets. Merci de vos lettres qui sont toujours charmantes. Comme vous êtes doué pour la gentillesse et la grâce de l'esprit. Pourquoi cultiver si peu ces dons naturels.
De coeur à vous mon cher petit. Marcel.
Ce que vous pourriez demander à Léon c'est comment je dois procéder (je tiens beaucoup à ce que ce soit fait par le Crédit Industriel pour avoir vis-à-vis de mon ami une sorte de garantie). Faut-il qu'on vienne avec l'argent et qu'on attende les titres, ou qu'on envoie l'argent d'abord. Ou est-ce eux qui enverront ces titres au Crédit Industriel ?".
Lettre publiée par Philip Kolb in Correspondance de Marcel Proust, Tome XI, page 44 à 46.
Vendu