Proudhon au lendemain d’une soirée d’ivresse
Pierre Joseph Proudhon (Besançon, 1809/1865)Drôle et belle lettre de Proudhon, adressée à son grand ami Auguste Rolland.
Proudhon reproche à son ami d'avoir payé les consommations d'une soirée trop arrosée.
"Mon cher Rolland. Le Docteur ne nous a rien dit de votre conduite d'hier, et ce que vous m'en écrivez est une petite rouerie de votre conscience pour savoir ce que je pense moi-même. Vous saurez donc que vous aviez hier la langue point du tout épaisse, mais plus affilée et mieux pendue que jamais ; la dominante passablement élevée ; la verve plus vive que dans vos plus beaux jours. Si, à tout cela, vous avez joint ainsi que je l'ai fait moi-même, vos deux pintes de bière anglaise, vous avez dû vous trouver, cette nuit, la tête un peu sonnante, et ce matin quelques nausées. Vous ne manquerez pas de dire ensuite que c'est le Docteur qui vous pousse, qui vous fait boire, qui vous assassine, etc. Moi, je trouve que vous n'avez nul besoin d'aiguillon et que vous volez fort bien de vos propres ailes [...]".
Il dresse ensuite l'addition totale de leurs consommations puis sa part à lui et ajoute : "Il est messéant à un pauvre diable tel que vous êtes de payer la bière anglaise à un pauvre prolétaire tel que votre serviteur, et bien plus encore à un consommateur de la force du docteur. Vous qui avez visité la Suisse, l'Allemagne, etc., vous savez que dans ces contrées hospitalières, on convient une fois pour toutes de payer à l'estaminet chacun sa dépense, ce qui est une manière de ne provoquer jamais les autres à boire.
Sur ce, je vous donne l'absolution que vous méritez, et souhaite que vous ne reprochiez pas d'abuser avec vous de mon droit d'ancienneté. Je n'ai jamais été caporal en chef de chambrée ; mais il me semble que je mériterai mon monde à peu près comme cela [...]".
Abraham Auguste Rolland (1822-1905) était un député montagnard (en 1848) puis exilé, la même année, en Suisse ; il rentra en France sous le Second Empire (avant 1859) et devint rédacteur d’un journal bonapartiste dans l’Ouest. Il entretint une belle correspondant avec Pierre-Joseph Proudhon et fut l’un de ses six exécuteurs testamentaires.
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