Sartre analyse Flaubert et son ressentiment, prenant exemple sur Madame Bovary
Jean-Paul Sartre (Paris, 1905/1980)Manuscrit fragmentaire de Jean-Paul Sartre, consacré à Flaubert et intitulé "Le Démoralisateur".
"Que l'artiste soit le méchant, Flaubert n'en doute plus en 39. Dans les années 37-38 il a découvert un des sens profonds de son activité littéraire : puisqu'il écrit par ressentiment, sa fin ne peut être que de nuire. L'idée date de loin puisqu'il félicitait Corneille, à neuf ans, d'avoir "abaissé le genre humain" mais il n'en a pas pris d'abord conscience et, dans ses premières nouvelles, son intention était plutôt d'exprimer son pessimisme [...]. Il commence assez tôt, pourtant, à se douter du venin qu'il distille dans ses oeuvres puisqu'il leur ajoute souvent des préfaces ou des postfaces [...]. En général par mépris mais aussi par prudence. A cette époque, Flaubert se projette spontanément et sans trop s'y reconnaître dans des personnages que le malheur a rendus méchants. La solidarité sans sympathie qui l'unit à ces projections donne à ces récits un "ton" inimitable que nous retrouverons plus tard dans "Madame Bovary". La construction de ses personnages a cependant pour effet d'accroitre indirectement son savoir sur soi : par exemple Isambart représente à la fois la réaction du "monde" aux malheurs de Marguerite et le sadisme propre à Flaubert : celui-là entreprend de démoraliser Marguerite - c'est à dire de la conduire au désespoir par la connaissance de la vérité, et celui-ci invente à plaisir les circonstances qui la dégraderont systématiquement et la conduiront à son Euréka désespéré [...]".
Le second feuillet porte le chiffre "III" en tête avec le sous-titre "Le ressentiment". Ce sont des notes jetées par Sartre : "Flaubert écrit aussi par ressentiment. Le ressentiment semble contraire à l'orgueil mais il l'aide : cf brouillon page I et page dernière [...]".
Sartre, passionné par Flaubert, fera paraître L'Idiot de la famille, en 1971-1972. On retrouve des bribes de ce texte dans un article paru en 1966 dans Les Temps modernes.
Très intéressant.
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