Rare lettre de jeunesse de Dumont d’Urville, dévoilant ses ambitions
Jules Dumont d'Urville (Condé-sur-Noireau, 1790/1842)Belle et dense lettre de Jules Dumont d’Urville, adressée à sa cousine Louise de Croisilles.
Le jeune Dumont d’Urville, amoureux, dévoile ses ambitions. Il commente avec ironie le fait que son ami Benerais soit embarqué sur la même frégate que lui. "Je le crois incapable d’éprouver un attachement sincère et un intérêt vif et soutenu pour tout autre que son chien". Il espère obtenir une permission durant l’été pour retrouver sa cousine pour laquelle il éprouve une vive passion. Il évoque leurs parties de trictrac et son oncle l’abbé de Croisilles [qui assura son éducation à la mort de son père]. "Mais il est plus que douteux que je puisse avoir cette douce satisfaction. Notre frégate à cette époque sera entièrement armée ; mon service sera plus étendu et plus rigoureux et il est peu probable que j’obtienne une permission de m’absenter. Ainsi, au retour de ma campagne, dans 3 ou 4 ans, j’aurai totalement oublié le trictrac et les Dames et tu auras le plaisir de me battre complètement à l’un et l’autre jeu". Il évoque ses occupations journalières. "L’étude suivie des langues mortes et vivantes et des mathématiques ; les armes, la danse et la promenade vont avec mon service remplir dès à présent tous mes moments et me faire passer le temps, sinon agréablement, du moins utilement et sans ennui. Tu es sans doute étonnée de me voir mettre la danse au rang des arts que je veux acquérir, tu seras surprise qu’un homme aussi peu fait que moi pour la société, veuille apprendre à danser ; je t’avouerai que pour mon goût particulier, je n’y aurais guère songé, mais tu penses bien que lorsque je serai devenu contre-amiral, comme j’espère toujours le devenir à moins que quelque boulet mal intentionné ne vienne m’arrêter dans mon illustre carrière, pour soutenir l’éclat de mon rang, je serai obligé de donner bal quelquefois, de dépouiller même parfois ma rudesse habituelle et le caractère d’homme de mer pour y figurer ; alors il ne sera plus temps d’apprendre à danser, il faut donc y songer d’avance. Pardonne-moi cette saillie, ma chère Louise, comme j’ai une forte dose d’ambition, j’ai toujours aimé les châteaux en Espagne et il m’arrive souvent d’en faire même involontairement […]". Il évoque ensuite ironiquement les vues que Mle Dalombois avait sur lui, car seule sa cousine lui fait battre le cœur, bien qu’elle l’ait semble-t-il éconduit. "Je ne t’importunerai plus touchant mes sentiments à ton égard ; je rougis actuellement non pas d’avoir pu t’aimer, mais d’avoir osé hasarder une déclaration […]. Elle m’a d’ailleurs procuré une leçon dont je me souviendrai longtemps. Je te le répète, jusqu’alors le beau sexe n’avait pu faire impression sur moi et je méprisais même assez généralement les femmes ; toi seule a pu attendrir mon cœur et l’ouvrir aux douces impressions de l’amour […]. Je forcerai mon cœur au silence quoiqu’il m’en coûte […]. Ce que je puis au moins assurer, c’est qu’à l’avenir aucune femme quelqu’accomplie qu’elle soit n’excitera en moi une affection aussi vive aussi exaltée que celle que j’avais conçue pour toi et surtout que jamais femme n’obtiendra de moi de pareils aveux […]".
Vendu