Rare et intéressante lettre de Maurice Lemaître sur « Le Film est déjà commencé? » et Isidore Isou
Maurice Lemaître (Paris, 1926 /2018)Maurice Lemaître expose à André Fraigneau son projet d'édition d'un livre tiré de son film "Le Film est déjà commencé?", sortie en 1951, film d'avant-garde dans lequel il déconstruisit tous les éléments de la production cinématographique traditionnelle.
"Vous avez écrit, il me semble, la seule chose intelligente parue dans la presse sur le film d'Isou ["Traité de bave et d'éternité", d'Isidore Isou (1925-2007), le fondateur du lettrisme] dont je fus l'assistant-réalisateur-monteur. Et vous avez une collection intéressante chez Bonne. C'est pourquoi j'ai pensé à vous en entretenant Cocteau de mes "ennuis" [Cocteau avait réalisé l'affiche du film]. J'ai écrit un petit essai comme suite à mon film : "Le Film est déjà commencé". Isou m'a donné une préface assez importante. Il y a aussi le son du film, le texte des interventions fomentées dans la salle et l'énoncé des procédés utilisés pour l'image. Tout cela peut faire un petit volume. Julliard (Kanters) refuse. Gallimard (Paulhan) ne répond pas encore. Mais le cinéma chez eux... je savais cela, remarquez, je voulais aller au plus difficile. Il m'est possible de faire sortir ce petit bouquin à mes frais. J'ai commencé les gestes. Mais commencer tout le travail bas de la distribution, etc. que j'avais accepté de faire pour les deux livres d'Isou : "Précisions" et les "Journaux des Dieux" (publiés par moi), je trouve que c'est une perte de forces. Donc un espoir encore A. Bonne [c'est effectivement André Bonne qui publiera l'ouvrage en 1952]. Dans mon cas, il y a apparemment plus de risque que pour le Cocteau. Il y a aussi courage. Et puis, ce sont les jeunes qui achètent les livres parce qu'ils ont besoin. Notre cinéma a les jambes grêles, adolescentes. On lui dit : "ça vous passera !". Il répond, comme il a souvent répondu : "ça vous dépassera" (dans le sens moteur). Je connais bien le mécanisme de la sortie d'un livre. Les auteurs, en général, croient au mot "fin" qu'ils écrivent sur la dernière page de leur manuscrit. Au cinéma (dans le, si vous êtes puriste), on apprend que le "bon à tirer" n'est que le début du travail. Même et surtout après la sortie du livre, de ce volume en lequel je crois, il y a des dizaines de gestes que je suis prêt à assumer". Il lui adresse cette lettre en pneumatique "car il y a chez nous une impatience dans la démarche à la mesure de notre prudence créative".
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