Exceptionnelle lettre de 12 pages d’Alexandre Dumas fils sur son père et ses habitudes d’écriture
Alexandre Dumas (fils) (Paris, 1824/1895)Formidable et très longue lettre dans laquelle Alexandre Dumas fils relate longuement les habitudes de vie et d'écriture de son illustre père.
"Mon père ne travaillait pas par coup de collier. Il travaillait dès qu'il était réveillé, le plus souvent jusqu'au dîner. Le déjeuner n'était qu'une parenthèse. Quand il déjeunait seul ce qui était rare, on lui apportait une petite table toute servie dans son cabinet de travail et il mangeait de très bon appétit tout ce qu'on lui servait. Après quoi il se retournait sur sa chaise et reprenait la plume. Il ne buvait que de l'eau rougie ou du vin blanc avec de l'eau de Seltz, pas de café noir, pas de liqueur, pas de tabac. Dans le courant de la journée de la limonade. Il travaillait quelquefois le soir mais pas très avant dans la nuit. Très bon sommeil. Il fallait bien des journées et même bien des mois de ce travail pour qu'il sentit la fatigue. Alors il allait à la chasse ou il faisait un petit voyage pendant lequel il avait la faculté de dormir tout le temps et de ne penser absolument à rien. Dès qu'il arrivait dans une ville intéressante, il allait voir toutes les curiosités de cette ville et prenait des notes. Le changement de travail lui servait aussi du repos. Durant plusieurs années je l'ai vu avoir pendant deux ou trois jours, à la suite de ce travail quotidien et incessant, un gros accès de fièvre avec 120 ou 130 pulsations. Il savait ce que c'était ; il se faisait mettre un énorme verre de limonade sur sa table de nuit ; il se couvrait et il dormait, ronflant comme une machine à vapeur. Il se réveillait de temps en temps, avalait quelques gorgées de sa boisson et se rendormait. Au bout de 48 ou de 72 heures, c'était fini, il se levait et prenait un bain et il recommençait. Il se portait toujours bien ; il n'avait jamais de repos complet que la chasse ou le voyage. Je ne l'ai jamais vu se reposer chez lui. Il avait besoin de beaucoup de sommeil. Quelquefois, dans le jour, il dormait pour ainsi dire à volonté, un quart d'heure avec gros ronflements et il repartait de la plume. Pas de rature et de la plus belle écriture du monde.
En dehors du travail, quand il se trouvait avec ses amis, chez lui ou en ville, une verve (insatiable?) où l'on ne sentait aucune fatigue des travail de la journée. Travaillant partout, en voyage, dans la première auberge venue, sur un coin de table. Il a eu longtemps une maladie d'entrailles qui le réveillait la nuit avec de très vives douleurs. Quand il voyait qu'il ne pouvait pas se rendormir, il lisait ; quand les douleurs étaient plus fortes, il se promenait dans sa chambre. Et quand elles étaient insupportables, il s'asseyait à sa table et travaillait. Le cerveau faisait, chez lui, diversion à tout. Le travail était sa manière à taire les ennuis et à taire les chagrins".
Alexandre Dumas fils expose ensuite ses propres mécanismes d'écriture : "Mes habitudes de travail sont toutes différentes. Je procède par coups de collier. Comme je n'ai aucune imagination, l'observation et la réflexion et la déduction sont tout. Je reste donc quelquefois pendant des mois à retourner un sujet dans ma tête sans prendre la plume. Je ne me mets au travail que quand j'ai tout trouvé. J'ai besoin de beaucoup de mouvement physique pendant cette période de gestation. Je me lève toujours de très bonne heure et je travaille toujours jusqu'à midi, surtout à la campagne. Je me remets à mon travail deux ou trois heures dans le coeur de la journée. Ce travail supprime l'appétit mais il augmente plutôt le sommeil. Quand je ne travaille pas, je dors moins bien. N'importe, le travail est une grande fatigue pour moi, et je suis quelquefois forcé de l'interrompre complètement pendant un temps assez long. La même sobriété que mon père. Pas de vin, pas de café, pas de liqueurs, plus de tabac, car j'ai beaucoup fumé la cigarette. En somme très peu d'agréments dans l'enfantement. Voilà".
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