Le graveur cubiste américain Herbert Lespinasse hanté par Buchenwald.
Herbert Lespinasse (Standford (Connecticut), 1884/1972)Longue et émouvante correspondance du graveur cubiste américain Herbert Lespinasse, à son retour de Buchenwald.
«Il faut pardonner mon manque de volonté pour écrire - après la joie de retrouver ma femme, après mon émotion en voyant que son visage portait les traces des angoisses qu'elle a eues pour moi. Malgré les bons soins qu'elle me prodigue et les belles provisions qu'elle avait faites pour mon retour, j'ai eu la réaction nerveuse (Braun qui m'a écrit ces jours-ci l'a eue aussi), dû à la détente après la longue lutte pour la vie au bagne nazi et ensuite le désir de guérir chez mon oncle. Malgré cette détente nerveuse, les bons soins de ma femme m'aident à me fortifier chaque jour, elle aussi à présent a meilleure mine. Avec les forces revenant, ma haine des Boches et de tous les Fascistes grandit. Jamais je n'oublierai mes camarades lâchement assassinés [...]. Mon cher Marcel, je regrette bien de n'avoir pu, avant mon départ, voir tes peintures récentes. Mais j'espère pouvoir venir cet hiver à Paris. Mes forces revenant, je pense au livre que tu aimerais me voir illustrer [...]». Il dévoile ses projets de gravure, évoque sa vue altérée par les conditions de travail dans l'atelier de réparation de jumelles à Buchenwald. «J'ai essayé avec le matériel que j'ai ici de graver. Cela m'a été impossible pour plusieurs raisons. Me ménager momentanément la vue. Puis ayant perdu tellement de temps depuis que nous avons été traqués, et puis le bagne et la santé à retrouver, que j'éprouve à présent grâce à une très grande sensation d'euphorie, la nécessité de réapprendre, de rattraper le temps perdu, de me renouveler, d'acquérir de nouvelles vitamines en peinture et en dessins prises sur la vie. Surtout ce qui vit et qui est en mouvement. En ce moment je n'arrête pas de dessiner, de peindre et de composer tant que je peux. Si je me concentre devant une planche à graver, j'ai essayé plusieurs fois, j'ai encore trop de confusion en pensant à tout ce que je voudrais dire et j'abandonne cette planche que j'essayais d'entreprendre [...]. Je suis assailli par de lugubres réminiscences des horreurs dont j'ai été témoin et des dangers auxquels j'ai échappé. Je suis pris avec les forces revenues d'une grande colère, d'une grande haine pour tous ces salopards de Vichy qui nous ont livrés, mes camarades français, américains, anglais et juifs, aux ignobles Boches qui ont torturés et assassinés tant des nôtres. Il me faudra Paris, notre atelier de Neuilly retrouvé et réinstallé après l'occupation et la dépravation boche, ainsi que l'air de Paris et l'imprimerie pour me plonger dans la gravure. Pour le moment, ayant retrouvé la vie, j'ai un grand besoin de vivre ; le dessin, la peinture et les idées qui en résument en font partie [...]». Il a l'opportunité de vendre ses peintures, mais il ne sait plus quels sont les prix du marché...
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