Armand Barbès transi d’amour pour mademoiselle Wertheimber
Armand Barbès (Pointe-à-Pitre, 1809/1870)Splendide lettre d'amour d'Armand Barbès à une jeune comédienne et cantatrice.
"Splendide! Chère, on vient de m'apporter votre portrait. J'ai fait un acte d'idolâtrie. Je suis tombé, à genoux, quoi qu'il soit défendu d'adorer les images.
C'est vous! - ces quatre années n'ont fait que perfectionner et passionner ce cher visage, y ajouter du sublime et du profond [...]. Chère, il faut que je me hâte de mettre cette adorée chose sous cadre, si je ne veux que, sous mes baisers, il ne reste bientôt rien de ses mains. (Observation pour mon amie. Je n'ose pas embrasser plus haut, ou plutôt, à côte de cette main divine.) Je le voudrais... comme dans un drame que je connais.
Chère, personne que moi ne verra ce trésor, je deviens d'une jalousie sans frein, et je veux avoir, seul, le pouvoir de contempler et d'admirer... Il était dit, du reste, que ma journée d'aujourd'hui serait bien bonne. Figurez-vous qu'une illumination m'a révélé, ce matin, que je n'étais pas sûr d'avoir brûlé vos cheveux! Même à cette heure où je croyais mourir, je n'avais pu me décider à m'en déposséder encore, et je les avais mis, pour un moment, à part en les baisant. Je les ai retrouvés là où, dans mon désordre d'esprit, je ne me souvenais plus de les avoir déposés, dans leur petite enveloppe, avec la violette cueillie sur le chemin de Schéveningue [à côté de La Haye]. Vous souvient-il de cette fleur emportée d'ici, et renvoyée après vous avoir donné, non! après vous avoir pris son parfum?
Chère! je suis si content qu'il faut que je solennise cette journée, en vous demandant une bonne et grande action. Écoutez : comme artiste, vous êtes sans égale! même dans l'opinion de ceux qui sont assez mal doués pour vous haïr, vous occupez un rang à part. Mais votre réputation d'à présent n'est rien en comparaison du renom qui vous attend. Vous serez un jour dans votre art ce que, dans le sien, fut Talma, ce qu'on été dans la guerre Alexandre, César et Napoléon. Quand ce jour de toute puissance sera venu, chère, demandez qu'on dresse une statue à Jeanne d'Arc dans les chefs-lieux de tous nos départements, et faites-lui en élever une de cent pieds dans l'endroit le plus apparent de Paris. Il n'y aura pas de gouvernement qui puisse vous refuser. Et d'ailleurs, la France se lèvera, et obéira à votre voix. Wertheimber et Jeanne, mes deux amours, oh! que n'ai-je été, que ne suis-je un grand homme pour célébrer la gloire de l'une et conquérir le coeur de l'autre! [...]
Je connais mon indignité. Mais voyez : je ne suis plus un homme, rien qu'une âme ; et il doit m'être permis, comme si j'étais déjà là-haut, de vous dire que vous êtes mon Dieu, le commencement, le but et la fin de toutes mes pensées, et de tous mes désirs! [...]".
Vendu