Belle correspondance de 5 lettres d’Adrienne Monnier à l’écrivain Henri Thomas
Adrienne Monnier (Paris, 1892/1955)Belle et rare correspondance d'Adrienne Monnier, l'emblématique animatrice de "La Maison des amis des livres" et amie des écrivains, datant au début de la guerre ; elle est adressée à Henri Thomas, alors mobilisé au front.
"Je crois qu'en ce moment vous changez beaucoup. Certainement vous devenez plus fort et plus assuré. Et votre don d'expression semble accru. Saillet m'a écrit qu'il trouvait vos lettres inspirées [le critique Maurice Saillet, était le collaborateur puis l'associé d'Adrienne Monnier]. Il n'est jamais trop heureux quand il se retrouve dans "la bauge familiale", ni trop fier. C'est Joubert, je crois, qui a dit que "l'amour-propre satisfait rend tendre". Son amour-propre n'est pas satisfait là - et guère d'ailleurs!. D'une façon remarquable il est juste et gentil. Son âme est comme une lame forte et brillante, mais son caractère est faible et l'enroule. Il a besoin de nous et en même temps, il faut qu'il se débrouille tout seul! Il ne sait pas être un bon ami, mais il est un bon ami. Le pacte germano-soviétique (je ne pourrais dire cela à beaucoup de gens) m'amuse énormément. Peut-être nous sauvera-t-il de la guerre. En tout cas, il a toute la malice de notre mère la Terre [...]. Voulez-vous avoir la gentillesse de me traduire en français le quatrain d'Omar Khayam que vous avez cité dans votre avant-dernière lettre. Je vais, dans mon prochain n° de Gazette [La Gazette des Amis des livres], non seulement publier votre lettre de cet été, mais des extraits des deux dernières. Vous écrivez d'une manière ravissante. Si simple et si "juste de voix". Je me dis souvent que vous êtes le plus doué des jeunes écrivains que je connaisse. Je me réjouis de vous revoir bientôt [...]. Il me semble que j'ai cinq ou six livres étonnants à vous faire lire. Il me serait agréable que vous puissiez trouver chez nous toutes les nourritures de l'esprit et du corps. "Fais un jour heureux, un jour heureux...". Mais si, votre traduction du quatrain est bonne, lue à haute voix, cela fait même un bel effet. Je suis tout à fait de votre avis au sujet du journal, à l'exemple du maître, je rigole assez. Saillet sait bien ce que je pense de ça. Et bien sûr, comme disait une fois Fargue, d'une manière charmante : "il n'y a pas à dire, il faut faire Don Quichotte. Il n'y a que cela qui compte!" Mais il y a des gens comme Gide, Rousseau, Montaigne, qui n'ont pas un meilleur personnage à élaborer qu'eux-mêmes. C'est peut-être simplement une question de pudeur (ils ne sont pas gênés par la leur). La "forme", on peut l'avoir en gros, ou en détails, et sous toutes les formes. Ce que je goûte dans vos lettres, ce n'est pas qu'elles soient des lettres, c'est qu'elles montrent souvent de grands bonheurs d'expressions, et une mise au point de votre pensée qui ne me semblait pas aussi ferme avant. Je suis sûre que vous ferez une grande oeuvre. J'attends de vous plus que de personne [...]". Elle évoque encore Gide, Paulhan, Marcelle Auclair.
Adrienne Monnier, qui fut l'un des principaux soutiens de Joyce en France, ouvrit sa célèbre librairie de la rue de l'Odéon en 1915 (La Maison des amis des livres). Elle y organisait des lectures où il était possible d'emprunter des livres : le lieu fut bientôt fréquenté par Apollinaire, Aragon, Breton, Cendrars, Fargue, Léautaud ou Paulhan. Grâce à sa compagne Sylvia Beach, elle s'intéressa à la littérature anglaise, et publia, en 1929, la première traduction française d'Ulysse.
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