Bertrand de Jouvenel ne veut plus participer à la création d’une revue après la défaite française
Bertrand de Jouvenel (Paris, 1903/1987)Ensemble de deux longues et intéressantes lettres de Bertrand de Jouvenel, à propos du projet de journal évoqué avec son ami Jacques ; la première autographe signée (5 pp. in-8 avec découpe d'un mot), la seconde dactylographiée signée (4 pp. in-4).
Jouvenel n'est plus favorable à créer l'hebdomadaire économique qu'ils avaient imaginés, et l'écrit fermement : "Tu m'invites à rentrer pour faire paraître l'hebdomadaire que nous avons mis au point ensemble. C'est moi, -te souviens-tu de notre premier entretien rue des Saints Pères, - qui t'en ait fait la suggestion. Et tu as alors émis des doutes sur la possibilité de réaliser un journal dans les conditions de liberté exigées par notre sentiment français [...]. Ce journal économique n'avait de raison d'être national que si les vainqueurs se montraient disposés à faciliter ou du moins à permettre la reprise de la vie économique chez le vaincu. Ils semblent au contraire s'appliquer à la paralyser. Comment veux-tu que nous expliquions les problèmes économiques en faisant abstraction des mesures allemandes qui les aggravent ? Ce ne serait plus "le Fait" mais "le demi Fait" [...]. Je ne crois pas que nous puissions, dans la conjoncture actuelle, faire oeuvre utile, c'est à dire oeuvre française". Si son correspondant est toujours décidé à fonder ce journal, une connaissance commune (dont le nom a été découpé), sera disposé à y apporter son concours. "Tu vois que ma réponse ne laisse rien à désirer en netteté. C'est non. Donc point d'annonce d'une collaboration que je n'ai pas l'intention d'apporter [...]".
Par un second courrier, dactylographié, il précise longuement sa pensée, avec des importants ajouts, concernant notamment, la défaite de la France face à l'Allemagne, le maintien du prestige intellectuel malgré la défaite militaire, le Maréchal Pétain et le régime de Vichy. " [...]. Il était entendu que nous ne parlerions que des faits. Mais il nous faudra taire ces faits décisifs que sont les mesures allemandes qui paralysent notre activité. D'abord parce que la censure nous empêcherait d'en parler. Ensuite parce qu'il serait inopportun d'exciter nos compatriotes dans un temps où cette excitation serait vaine et risquerait même de leur être funeste [...]. Mon cher Jacques, ce n'est pas l'envie qui me manque de faire le journal avec vous [...]. Je suis freiné par le sentiment que, notre prestige militaire perdu, il nous reste encore le prestige intellectuel [...]. D'ici à quelques jours j'aurai de Vichy des nouvelles à mon gré importantes. J'ai demandé un avis écrit du Maréchal. [...] Je crois que nous serions assez fort à l'égard des Allemands si nous pouvions opposer à leurs exigences éventuelles que nous sommes comptables à l'égard du Maréchal de la ligne de notre journal [...]".
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