Exceptionnel journal de plus de 200 pages d’un officier d’ordonnance de Napoléon (campagnes de Prusse et de Pologne, 1807-1811)
Journal personnel tenu par Anatole de Montesquiou-Fezensac (1788-1878), alors aide de camp du maréchal Davout, puis officier d'ordonnance de Napoléon 1er, et qui sera plus tard général et pair de France. Au total 214 pages écrites (numérotées 1 à 254, quelques pages blanches intercalées, les pages 77 à 81 sont manquantes).
Débuté à Tilsit en juin et juillet 1807, ce journal donne un tableau des pertes subies par les Russes et les Prussiens dans la campagne de Pologne (pp. 8-9) et donne copie de certaines dispositions du traité conclu le 7 juillet à Tilsit entre Napoléon Ier et le tsar Alexandre Ier. Il se poursuit en Pologne de juillet à septembre 1808, alors qu'Anatole de Montesquiou servait auprès du maréchal Davout, gouverneur du pays, notamment à Breslau (Wrocław), à Skierniewice (château du maréchal Davout près de Varsovie) et à Młociny (maison du même près de Varsovie, occupée après l'incendie de Skierniewice). On y trouve des allusions à des personnalités polonaises fréquentées à cette époque : le général Włodzimierz Potocki, la comtesse Potocka, Anna Tyszkiewicz, épouse du chambellan de Napoléon Ier, Aleksander Potocki (dont Anatole de Montesquiou a gardé ici un dessin qu'elle lui a tracé au verso d'une carte à jouer, fixé par 4 points de cire en page de garde), et surtout la princesse Radziwill dont il brosse un admiratif et long portrait (« une des femmes les plus extraordinaires que j'ai vues », pp. 93-96). Avec un texte en polonais et des notes sur la grammaire de cette langue. Suit le récit de son voyage de Pologne à Paris, de septembre 1808 à janvier 1809 (pp. 65-93 et 96-98), passant par Wrocław, Berlin, notamment au château de Charlottenburg, et Erfurt.
Le journal, un temps interrompu, reprend lors de la campagne d'Autriche, à Vienne et au château de Schönbrunn, du 15 mai au 26 septembre 1809 (pp. 101-120) : Anatole de Montesquiou consigne deux missions qu'il remplit alors pour Napoléon Ier, l'une auprès du roi de Saxe, l'autre auprès du prince Eugène, et il annonce la nouvelle de la bataille d'ESSLING (« Une grande bataille a été livrée le 21 may à trois lieues de Vienne au-delà du Danube [...]. Dans la nuit du 22 au 23, on se battait encore malgré l'infériorité de notre nombre avec un acharnement extraordinaire, et un succès inespéré. Journée mémorable mais pour peu de monde ; car le nombre des morts a été grand. Nous nous (?) du souvenir de leurs exploits et de leur gloire. La gloire acquise par ceux qui meurent, n'accompagne pas seulement leur mémoire vénérée, précieux héritage! elle reste à ceux qui par miracle survivent. Ces deux journées ont fait perdre plus de soldats que ne vaut la gloire. Dans ces plaines tristement immortalisées gisent les débris de grands hommes , affreux monuments de ces haines éphémères qui ravagent comme le temps que l'on s'est juré quelquefois d'appeler éternelles. On en perdra les traces un jour, et jusqu'au moindre souvenir en deviendra ignoré ». Vienne 5 juin 1809. "Je viens d'être envoyé par l'Empereur à Bruck en Styrie au Prince vice-roi qui vient de faire la jonction avec la grande armée [...]. Vienne 21 juillet : "On dit que la paix va être conclue et que nous allons devenir amis des Autrichiens ; je ne sais cependant pas si l'on pardonne de semblables leçons".
Il évoque aussi une soirée chez la princesse Czartoryska où, entre autres, Dominique-Vivant Denon raconta à l'assemblée un souvenir de l'expédition d'Égypte. Pour les années suivantes, Anatole de Montesquiou note les missions qui lui furent confiées par l'empereur : un voyage à Vienne en mars 1810 pour aller porter à Marie-Louise le portrait de Napoléon Ier (p. 165), une tournée d'inspection en juillet et août 1811 à Niort, Sainte, La Rochelle et l'île de Ré. Il annonce la nomination de sa propre mère comme gouvernante du roi de Rome, évoque l'inimitié de Corvisart envers celle-ci, et donne un récit du moment central du baptême du roi de Rome le 9 juin 1811 (pp. 169-170).
Ce journal offre en outre un excellent exemple de la sociabilité de l'époque : Anatole de Montesquiou y recueille quantités d'anecdotes vues ou entendues concernant ses relations ou des personnalités saillantes, le maréchal Davout, la duchesse de Bassano, Girodet (pour son portrait de la comédienne mademoiselle Lange nue), etc. Il consigne également toutes sortes de bons mots colportés, touchant souvent des célébrités du temps, par exemple : « Depuis que l'impératrice Joséphine n'est plus sur le trône, on dit qu'elle vit en avare (en Navarre) [nom du château que Joséphine possédait près d'Évreux] », ou encore, du prince de Ligne, « La papauté va de Pie en Pie ». Il consigne aussi les pensées philosophiques qui lui viennent, et différentes citations prises lors de ses lectures dans les œuvres de Benjamin Franklin, Marmontel, Dominique-Vivant Denon, etc. Il conserve la mémoire de poèmes (notamment des bouts-rimés) composés par des relations comme le général Ricard (« chez Mme Antoine Potocka »).
FUTUR GENERAL ET PAIR DE FRANCE, ANATOLE DE MONTESQUIOU (1788-1878) appartenait à une famille de la plus haute noblesse française ralliée à la Révolution et à l'Empire : il était le fils du grand-chambellan de l'empereur Élisabeth-Pierre de Montesquiou et de la gouvernante du roi de Rome Louise-Charlotte Françoise Le Tellier, et donc le petit-fils du général et homme politique Anne-Pierre de Montesquiou-Fezensac. Ayant choisi la carrière des armes, il participa aux campagnes de l'Empire comme aide de camp du maréchal Davout (octobre 1808-mars 1809), officier d'ordonnance de Napoléon Ier (mars 1809-mars 1812), aide de camp du maréchal Berthier (mars 1812-janvier 1814) puis à nouveau officier d'ordonnance de l'empereur (janvier-avril 1814). Il fut promu lieutenant en 1808, capitaine en 1810, chef d'escadron en mars 1812 et colonel en 1813. La Révolution de Juillet en fera général et pair de France.
Vendu