Exceptionnelle lettre de Monet à Clemenceau, annulant la donation des Nymphéas
Claude Monet (Paris, 1840/1926)Importante lettre de Claude Monet, adressée à son grand ami Georges Clemenceau. Le peintre revient sur sa promesse de don des Nymphéas.
En 1918, Monet promit de donner ses toiles mythiques à l'État, pour fêter la fin de la Première guerre mondiale. Son ami Clemenceau s'engagea à trouver un lieu d'accueil aux toiles. En 1925, ce dernier, diminué physiquement et atteint de cataracte, revient brutalement sur sa parole :
"Mon bon ami, je vais vous faire de la peine, mais je n'ai plus la force de lutter et il me faut dire une fois la vérité. Ma vie est une torture. Je ne suis plus bon à rien. J'ai beau vouloir aboutir, je n'arrive qu'à tout perdre. Bref, je ne peux exécuter ce à quoi je me suis engagé. On voudra me convaincre on pourra me menacer et rien n'y fera ; et tant que je serai vivant la donation promise ne sera exécutée. Je suis prêt à rembourser à l’état les dépenses faites, je suis tout disposé à le dédommager par le don de ma collection. C’est tout et je vais l’écrire à Mr [Paul] Léon. Je suis vieux bouleversé bien malheureux […] ».
On joint une copie manuscrite d’époque de la violente réponse faite par Georges Clemenceau, le lendemain, 7 janvier 1925. 4 pp. in-4.
"Mon malheureux ami. Si vieux, si entamé qu'il soit, un homme, artiste ou non, n'a pas le droit de manquer à sa parole d'honneur - surtout quand ['cette' biffé] c'est à la France que cette parole fut donnée. J'allais vous écrire pour vous demander d'aller déjeuner avec vous dimanche. J'y renonce absolument, et si vous maintenez follement votre décision, j'en prendrai une aussi qui me sera plus douloureuse peut-être qu'à vous-même. En écrivant à Léon, sans même m'avoir donné l'occasion d'une parole, vous avez essayé, comme tous les hommes faibles, de vous couper les ponts. C'est une injure que mon amitié ne méritait pas. Je vous savais capable de folies. Je n'avais pas prévu celle-là. Vous parlez de dommages à l'Etat. Quelle misère ! C'est à vous-même que, par un caprice insensé, vous faites la pire injure. Vous êtes vieux et diminué dans votre vision. Mais votre génie vous est resté. Vous voulez faire que ce soit un malheur pour vous. Mon assentiment à ce cruel caprice vous sera refusé. Si vous êtes diminué dans votre vision, c'est que vous l'avez voulu en laissant aggraver le mal de l'œil opéré et en refusant comme un mauvais enfant, de laisser opérer l'autre. Cependant il s'est produit un véritable miracle. Vous avez pu peindre et vous avez peint plus grand et plus beau que jamais. Le reste je n'ai pas à le rappeler. Votre conscience, volontairement meurtrie de vos propres mains, vous le rappellera jusqu'à votre dernier soupir. Je vous dis la vérité toute nue, n'ayant plus rien à ménager avec vous. Et maintenant voici qu'un délire d'enfant gâté s'empare de vous. Vous avez décidé que votre peinture ne valait rien, et bien que tous ceux qui ont vu les panneaux les déclarent d'incomparables chefs-d'œuvre, bien que vous fussiez très content d'eux à notre dernière entrevue, vous reprenez cyniquement votre parole en déclarant que même confirmée par votre signature elle a valet de zéro. Je croirais me déshonorer, à mon tour, si je discutais avec vous la question ainsi posée. Vous m'avez écrit en Vendée : « Quoi qu'il arrive, ma parole sera tenue ». J'en étais là de vos promesses. Je ne m'en laisserai pas déloger. Si je vous aimais, c'est que je m'étais donné au vous que je vous voyais être. Si ce n'est plus ce vous, je resterai l'admirateur de votre peinture, mais mon amitié n'aura plus rien à faire avec ce nouveau vous. Je suis vieux, moi aussi, et j'ai reçu des coups qui, à mes yeux, ne m'ont pas diminué. Mon ambition pour vous était que vous en puissiez dire autant [...]".
Vendu