Jean-Jacques Rousseau dément être l’auteur des « Lettres de l’homme de la montagne »
Jean-Jacques Rousseau (Genève, 1712/1778)Belle et rare lettre de Jean-Jacques Rousseau à l'éditeur genevois Philibert Cramer.
Suite à la publication de l'Emile et du Contrat social, Rousseau est contraint à l'exil, de 1762 à 1765. Il quitte la France pour la Suisse puis Genève pour le canton de Neuchâtel, à Môtiers, qui était alors sous l'autorité du roi de Prusse Frédéric II.
Rousseau se plaint de l'absence de secrétaire ne lui permettant pas de répondre à "la multitude de lettres" qu'il reçoit, avant de mentir à son interlocuteur : "je puis vous assurer, Monsieur, non seulement qu'il ne se débite à Paris aucun nouvel ouvrage de ma façon, mais que je n'en ai fait aucun qui soit intitulé, Lettres de l'homme de la montagne. Je n'oublie point les engagements que j'ai pris avec vous, et lorsque je publierai quelque nouvel ouvrage, dans mes distributions d'exemplaires vous ne serez surement pas oublié."
En réalité, Rousseau est bien l'auteur de neuf Lettres écrites de la montagne, en réaction aux Lettres écrites de la campagne par le procureur général de Genève Jean-Robert Tronchin, justifiant la condamnation de l'écrivain. La réponse commençant à être diffusée en décembre 1764, le philosophe avoue ensuite à demi-mot en être l'auteur, tout en justifiant sa discrétion : "Cependant vous devez comprendre qu'en supposant que j'eusse écrit sur la matière que vous indiquez, il ne serait pas raisonnable, dans ce cas particulier, que vous vous attendissiez à être servi avant le public, ni que le vrai désir que j'ai de vous complaire fut porté jusqu'à l'imprudence ; car je n'ignore pas que nous avons vous et moi des façons de penser fort différentes sur les matières de Gouvernement. Quoique je ne sache aucun mauvais gré ni à vous ni à personne de ne pas penser comme moi, je ne vous dois pas sur ce point la même confiance que si nous étions du même sentiment."
Rousseau se montre prudent face aux frères Cramer : leur maison d'édition genevoise publiait à l'époque les oeuvres de Voltaire et si Philibert s'était personnellement retiré du métier de libraire un an plus tôt, son frère Gabriel était encore très proche de l'ennemi de Rousseau. (R. Mortier, "Voltaire, Lettres inédites à son imprimeur", Revue belge de philologie et d'histoire, t. 32, fasc. 1, pp. 147-150).
Malgré leurs différends, il sollicite une visite de son correspondant dans sa ville d'exil : "Soyez persuadé, Monsieur, que je n'en aurai pas moins de plaisir à vous connoitre, quand vous me ferez celui de me venir voir", ironisant ensuite sur le nombre de ses détracteurs et sa bienveillance à toute épreuve : "bien que je ne sois toléré de personne je suis tolérant pour tout le monde. J'ai toujours eu des amis qui pensaient autrement que moi presque sur toute chose et je ne les ai pas moins aimés. Je ne fais de mes opinions des loix pour personne, comme je n'en reçois point de celles d'autrui, et pourvu qu'on s'accorde avec moi sur les devoirs de l'honnête homme, ma bienveillance est assurée à ceux qui m'aiment, bien plus qu'à ceux qui sont de mon avis [...]".
12000,00€