Longue lettre de Baudelaire à Poulet-Malassis sur Les Paradis artificiels, Jeanne Duval et la deuxième édition des Fleurs du Mal
Charles Baudelaire (Paris, 1821/1867)Intéressante et longue lettre de Baudelaire adressée à son éditeur, à propos des Paradis artificiels (qui venait de paraître, en mai 1860), la santé de Jeanne Duval et la préparation de la deuxième édition des Fleurs du mal.
Baudelaire se fait l’écho des quelques articles qui ont paru dans la presse, sur Les Paradis artificiels, dont celui de la Revue européenne. "Il y a eu un nouvel article dans je ne sais quel journal de librairie appartenant à Hachette. Je ne l'ai pas lu. Autre article, dans la Revue Européenne, curieux. On y lit que, malgré toutes les belles protestations de morale, il est douteux que la santé intellectuelle de M. Baudelaire se soit améliorée. Ce matin a paru dans les Débats le troisième article de Deschanel. Toujours la même chose, des coups de ciseaux, et pas de guillemets, c’est commode". Il se plaint de la diffusion du livre. "Je suis parvenu à acheter quelques exemplaires de mon bouquin à la Librairie Nouvelle, mais figurez-vous, mon cher, qu'il n'y en avait pas. Il y a quelques jours, un journal ayant besoin d'un exemplaire l'envoya chercher à la Librairie Nouvelle ; il n'y en avait pas. En réalité ce livre n'a été exposé nulle part et déposé que dans trois ou quatre endroits peut-être. Je vous demande bien pardon de vous répéter toujours la même chose. Mais si vous saviez la peine que vous me faites ! Je pense non seulement à mes intérêts, mais aussi à votre fortune. Il y a deux jours, Lemaréchal, voulant l'acheter, allait chez Castel [librairie, passage de l'Opéra, galerie de l'Horloge] ; il n'y en avait pas. En revanche, l'infâme Revue internationale cosmopolite, fondée à Genève, le 1er août 1859, est partout, partout, partout. Je ne serais pas étonné qu'elle finit pas avoir du succès [...]".
Il fait le point sur d’autres travaux, achevés ou en cours, ayant arrangé ses affaires avec Le Constitutionnel. "Je reviens à mes affaires. Mon miracle du 20 n'est pas accompli. Il s'agit de théâtre ; mais je suis convaincu qu'il aura lieu. Je vous jure que c'est la dernière fois que je profite de votre indulgence et que je laisse arriver l'échéance de cette insupportable dette sans vous alléger. Je pars le 16 ou le 17, ayant fait beaucoup de choses, ayant arrangé mes affaires avec le Constitutionnel qui s'est vraiment fort bien conduit ; l'ai livré passablement de matières, et j'ai reçu 1000 francs. Je recevrai encore quelque chose au moment de mon départ, et je travaillerai au Wagner et à mon drame, chez ma mère. Je vais faire une série de petits séjours en province : chez mon frère (qui vient d’être frappé de paralysie ; la Providence aurait mieux fait de guérir une autre personne qui m’intéresse davantage [Jeanne Duval, la "Vénus noire", sa maîtresse et muse, frappée d'une attaque d'hémiplégie le 5 avril qui la laissera paralysée du côté droit]), chez Flaubert qui m’appelle à grands cris [voir la lettre à Flaubert du 26 juin et la réponse de Flaubert du 3 juillet], chez ma mère, et chez vous, puis retour à Honfleur. Il est évident que si je peux être à temps chez vous, c’est à dire deux ou trois jours avant votre départ, je vous montrerai toutes les pièces que vous ne connaissez pas, et la préface (20 lignes d’un majestueux dédain)".
Puis il détaille les billets d’escompte qui devraient pouvoir être payés. "Maintenant, adieu. Je désire bien vivement passer quelques heures avec vous. Le genre humain n’aime plus la conversation. Que je réussisse ou que je ne réussisse pas à vous voir avant votre fuite [à Granville], sans faute, n’est-ce pas ? Nous commencerons les Fleurs, le 15 août, et nous ferons tout en six semaines. C.B." [Il s'agit de la seconde édition des Fleurs du Mal, qui parut en 1861, après que Baudelaire eut cédé tous ses droits de reproduction exclusifs à Poulet-Malassis et son beau-frère Eugène de Broise ; tirée à 1500 exemplaires, tronquée des 6 pièces interdites, mais enrichie de 32 nouveaux poèmes]
Signature "C.B".
Lettre publiée dans Correspondance, Pléiade, II, p. 62-64.
Ancienne collection Pierre Bérès (catalogue 5, 1941, n°45).
9500,00€