Magnifique correspondance d’Elsa Triolet à Pierre Seghers, écrite sous l’occupation
Elsa Triolet (Moscou, 1896/1970)Ces lettres sont écrites dans la clandestinité, lorsqu'Aragon et Elsa Triolet se sont réfugiés, de juillet 1943 à septembre 1944 à Saint-Donat dans la Drôme, chez Pierre Bret, sous les noms de Lucien et Élisabeth Andrieux. Ce séjour est entrecoupé de visites à Paris.
9 août. Ils ont déjeuné sur l'herbe : « On a eu un bout de viande grillé sur les braises, des pommes de terre, du thé […]. Mon mari s'est contenté de manger et de ramasser du bois pour le feu ». Elle évoque des articles hostiles à son livre Le Cheval blanc. A la suite de cette première lettre, petit post-scriptum de la main d’Aragon, qui signe « Lucien», pour rappeller le « petit dîner de famille » prévu le 14 septembre. 2 pp. in-4.
Jeudi, 11 novembre : à propos du Mythe de la baronne Mélanie : « pourquoi avez-vous fait composer « Mélanie » en si petits caractères ? Si dans la revue il fallait gagner de la place, ici au contraire il y avait intérêt à la faire gonfler, cette pauvre baronne ». De retour à Paris elle ne sait où ils vont loger : « Un homme seul est toujours plus facile à caser, mais quand je ne suis pas là, mon homme seul ne mange pas, ne se rase pas, sans parler des chaussettes de laine à ramener, et diverses questions, cartes, tabac etc. » Elle est en train de lire Le Chien de pique de Seghers « comme on lisait des mémoires. J'aime ça. Louis a l'intention de faire un compte-rendu du Chien ». 4 pp. in-8.
Mercredi. « La rage que j'ai contre la foule à qui la compréhension ne vient que quand c'est elle-même les réfugiés, les sinistrés, les déportés, séparés, amputés, humiliés et j'en passe cette rage se tourne contre vous. La tête ailleurs, comme tout le monde, on dirait que plus les temps sont monstrueux et plus vous êtes possédé d'une frivolité cascadeuse ! […] Si c'est que la vie s'ouvre pour vous, vous jouez de malheur et du malheur. Nous on vous aime pour le meilleur de vous-même […] pour le cœur, la modestie, la générosité. Les hommes changent, vous pourriez bien devenir dur, content de vous, et avide, ne plus être vous, quoi ». 2 pp. in-4.
6 décembre [pour janvier] 44. Vœux « chauds, tendres et fervents ». Ils ont « fortement réveillonné. Je n'en suis pas encore revenue ! Une gueule de bois prolongée » Elle termine son histoire, mais n'est pas encore au point. 2 pp. in-4.
24 juin. « Je crois que le cheval aura du mal à terminer sa course. Et nous sommes tous un petit peu des chevaux « C’est normal » dirait le docteur rouquin et il aurait raison » [Le Cheval roux, auquel elle travaille ne sera publié qu'en 1953]. Elle en vient à ses différends avec Jean : « il hait mes semblables avec toute la perfidie dont il est capable. Haine organique, corrigée de temps en temps par les circonstances, le raisonnement, et tout ceci m'affecte beaucoup plus comme symptôme et aperçu de l'avenir que la non parution d'une histoire. Je redoute aussi le poison que Jean distille et que cette idée qui ne serait venue à personne ne se propage. C'est comme la calomnie, il n'y a pas de différence, ni de remède. Je ferai mon possible pour pas laisser mon mari aller s'expliquer à ce sujet. Quelle folie ! »... 4 pp. in-4.
La lettre incomplète du début, signée « E. », la montre désespérée : « je reste seule, presque vieille, ayant dépensé toute mon énergie à me défendre et bien persuadée par Lucien jusqu'au bout que je ne peux rien, que je suis une incapable. Je n'ai plus le courage que j'ai eu en 37-38, de me mettre à écrire justement parce que Lucien m'en empêchait ». 2 pp. in-8.
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