Magnifique lettre du duc de Saint-Simon au cardinal Dubois (collections Morrisson, Bérès et Weiller)
duc de Saint-Simon (Paris, 1675/1755)Superbe lettre de Saint-Simon au cardinal Dubois. Il relate sa rencontre avec le duc d'Ossonne à Vivonne, et l'avertit d'un risque d'épidémie de peste à Paris. Cet épisode figure en bonne place dans ses Mémoires (Pléiade T. VI, pp. 802-804). Saint-Simon se rendait alors en Espagne, négocier le mariage du jeune roi Louis XV avec l'infante Marie-Anne-Victoire de Bourbon.
"Je profite de la nécessité de faire repaistre pour avoir l'honneur de dire à VE que j'ai rencontré sur le midi M. le duc d'Ossonne, à Vivonne, quatre lieues en deçà de Poitiers. Il achevoit d'entendre la grand'messe assez loin de la poste où sa chaise étoit dételée. J'ai défendu qu'on me changeast de chevaux jusqu'à ce que lui et sa suite fussent fournis des meilleurs, et j'ai été l'attendre à l'entrée de l'église, où force compliments et embrassades, et où je lui ai présenté ma jeunesse. Je l'ai accompagné à la poste, où, après les civilités sur les chevaux, dans lesquelles vous jugez bien que je n'ai été vaincu ni en paroles ni en effets, je l'ai suivi dans la chambre où son couvert étoit mis, et où je n'ai voulu être suivi de personne des miens. Aucun des siens ne s'y est présenté. Là, les compliments de joie et d'union ont redoublé, ainsi que les personnels ; mais ce qui me hâte de ne pas perdre l'ordinaire de Paris, qui passe ici aujourd'hui, c'est que ma surprise a été grande quand il m'a fait entendre qu'encore que la joie soit universelle en France, il y avoit des gens très affligés, et a ajouté, comme en confiance, et même en m'en demandant le secret, qu'on avoit taché de retarder et d'effrayer sur la peste, jusque-là qu'une lettre de Paris avoit averti qu'il prît garde à ne pas entrer en certaines maisons de Paris même, parce que cette maladie y étoit, dont il n'avoit fait autre compte, ni ceux de sa cour qui l'avoient su, que de remarquer la malignité et le chagrin de ces personnes, qu'il ne m'a point désignées, et sur lesquelles aussi j'ai cru devoir témoigner plus de mépris que de curiosité. Il m'a parlé de la joie de LMC et de toute l'Espagne, aussi fortement que tout ce qui s'en est déjà répandu et que vos nouvelles portent ; et, après qu'il a été servi, je me suis retiré sous prétexte de le laisser en liberté. Il m'a conduit à l'espagnole, au bas du degré, où nous avons pris congé, et, après les compliments ordinaires pour me voir monter en voiture, ce que je n'ai pas souffert. Il m'a dit, et j'en ai été surpris, avoir écrit de Bayonne pour les passeports de ce qui m'appartient, gens et ballots, et ne pas douter qu'ils ne passent actuellement, s'ils ne le sont déjà. Il ne m'a rien dit d'ailleurs, ni de M. de Maulévrier, même à ce propos de passeports, ni moi à lui, seulement beaucoup d'offres de me servir des voitures qu'il a laissées à Bayonne. Je souhaite que vous approuviez la manière dont cette rencontre s'est passée, et que SAR en soit contente. Je prends la liberté de supplier VE de la vouloir bien assurer de tout mon respect, et de l'être parfaitement elle-même de mon très sincère attachement."
Provenances :
- Collection Alfred Morrisson (Londres, 1889, T. VI, p. 62)
- Librairie Pierre Bérès (catalogue n°50, 1951, n°109)
- "Trésor de la Bibliothèque du commandant Paul-Louis Weiller" (Paris, Drouot, 30 nov. 1998, n°100 du catalogue)
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