Passionnante correspondance de 14 lettres d’André Lhote sur le cubisme et son art
André Lhote (Bordeaux, 1885/1962)Superbe correspondance amicale et artistique d'André Lhote à Roger Brielle, sur la peinture et le cubisme.
Elle est principalement tournée vers la préparation de la publication de Brielle, André Lhote (Paris, Éditions Sant' Andrea, 1931). Lhote évoque le cubisme, Gleizes, Metzinger, Delaunay, Jean Lurçat, Maximilien Gauthier, sa névralgie du bras, un envoi de dessins et photographies, Picasso, Le Corbusier, Pierre Jeanneret, son "Degas", etc.
S.d. : Au sujet de sa participation à la revue Le Rouge et le Noir (cahier spécial des arts), dirigée par Roger Brielle : "René-Jean, Lurçat et Delaunay, c'est plus qu'il ne m'en faut pour me disposer à me dévouer de toutes façons pour votre jeune et sympathique revue". Mais malheureusement, il manque cruellement de temps. "J'ai toutes les peines du monde à donner chaque mois quelques pages à la N.R.F. et il n'est pas de semaines que je ne refuse (à contre-coeur) une collaboration à une revue ou un journal. Plaignez les pauvres peintres qui se font tant de mauvais sang avec leur art". Il lui adresse une photo et renonce à tout droit de reproduction. "Les jeunes revues doivent faire des économies pour durer longtemps". Il est disposé à lui adresser tous les croquis qu'il souhaite.
23 oct. 1928. Il lui adresse 10 dessins à la plume, pour le 1er ou le 2e numéro de la revue et lui demande de les lui renvoyer dès que les clichés seront faits.
15 oct. 1929. Il le remercie de son intention d'écrire un article sur lui et lui adressera photos et dessins. Ayant reçu le numéro du Rouge et le Noir, il le commente.
4 décembre 1929 : Il a dû recopier 3 dessins d'un albul de voyage, dont il dresse la liste, et lui adresse des photos annotées au dos. Il aimerait pouvoir relire l'article avant sa parution, pour éviter certaines erreurs qui pourraient se glisser. "Par exemple, celui qui lit le livre d’Apollinaire sur le cubisme et celui de Gleizes et Metzinger, ne voit mentionnés ni les noms de La Fresnaye (qui fut l’un des plus grands) ni le mien. Celui de Delaunay ne figure que dans l’un des deux ouvrages. Tout ceci à causes des querelles de chapelles qu’il faudra narrer un jour [...]" Il ne veut pas que l'article soit trop élogieux. "D'une façon générale, je tiens à être présenté nanti des deux titres de gloire suivants : 1° Je suis un isolé, n'ayant partie liée, moralement ni intellectuellement avec aucune chapelle. (Dès le début du cubisme 1910, je proclamais que Signorelli et Piero della Francesca me suffisaient comme point de départ, avec Cézanne). 2° Je ne dois ma modeste notoriété qu'à mon indépendance et non à quelque traité avec un marchand de tableaux. Je suis indépendant intégral si vous voulez. Et si j'écris sur l'Art, c'est pour me délivrer, et demeurer devant mon chevalet en toute innocence [...]".
Le reste de la correspondance est garndement consacré à l'ouvrage que Roger Brielle consacre à André Lhote. Quelques extraits :
14 février 1931, sur Picasso : "[...] ce sera amusant également de constater qu'en 1913 je peignais une "Bacchante" rose qui, avec la "Baigneuse" de 1921 précédaient les grosses femmes roses de Picasso. Il y a encore d'autre précédents comme "l'Esprit et la matière" (le peintre, le mobile, le tableau) de 1921, qui a été repris par l'Espagnol (Chronique du jour, Eugenio d'Ors) [...]".
31 mai 1931, sur sa peinture. "Premier jour de répit depuis votre visite. Je viens de terminer ma "Léda" des Tuileries, qui m'a donné un travail fou [...]. Je voulais également vous dire que votre texte est parfait. Je pense que vous n'aurez pas trouvé indiscrets les petits renvois que j'y ay ai ajoutés indiquant le tableau qui illustre vos dires... Je suis très content de votre appréciation sur "Avignon". Mais je crois être en progrès dans Léda, au point de vue du lyrisme de la facture. Je crois que je ne pourrai revoir Avignon sans être incommodé par la précision extrême de la technique et que je ne résisterai pas au plaisir de le retoucher [...]. Pourquoi l'inspiration ne se produirait-elle pas après la quasi-exécution de l'oeuvre? On fait son possible jusque là pour approcher, pinceaux en main, de l'image qu'on se fait du tableau. On a peiné, et ça se voit. Et plus une oeuvre est sincère, plus elle est désagréable d'aspect. On l'abandonne, ne pouvant rien ajouter. On la revoit qq. mois après et on découvre aussitôt tout ce qui lui manque, qui est souvent la sobriété. Alors on retranche : la richesse par épuration, c'est tout un problème à creuser [...]. Je serais très heureux si vous pouviez insister sur cette caractéristique essentielle de mon art : le tableau vise à l'indépendance absolue de ses éléments, forme, couleurs, directions, mais par le détour de la nature. Et ce n'est pas assez de signaler cette référence initiale à la Nature. Beaucoup en font autant. Ce n'est pas la Nature considérée comme une succession d'objets, mais comme un foyer d'hallucinations plastiques. Un nuage est une courbe ou un triangle, une chevelure cylindre et volutes, etc. C'est pourquoi dans un nu, je ne dessine pas les contours, besogne de constatation réaliste, mais le contour des lumières et des ombres, c'est à dire la forme de mirages accidentels, qui ne parviennent au stable et au durable, dans le tableau, que par la qualité de la réalisation. J'essayre d'arriver au style (qui n'est autre chose qu'une perfection technique par les moyens les moins propres à le susciter : la sensation, est mon point de départ. Mais elle s'opère à travers les grilles d'une prison idéale que je me suis construite, qui est celle de la géométrie expressive [...]".
Etc.
Vendu