Saint-Etienne et ses mineurs au début du XXe s., raconté par Jean Carrère
Jean Carrère (Gontaud, 1865/1932)Manuscrit du journaliste, poète et écrivain Jean Carrère, intitulé « Saint-Etienne ». Ratures et corrections.
Récit pittoresque du Saint-Etienne du début du XXe et de ses mineurs : « [...] Enfin, Saint-Etienne apparut [...]. Les voitures d'hôtel étaient mornes comme des omnibus funéraires. De rares passants fuyaient vite sous l'ondée noire [...]. Les autres artères étaient solitaires et fougueuses. Au cours Fauviel, la boue était si accumulée, qu'on avait dû établir, pour passer d'un côté à l'autre, des manières de gués, en battant la terre [...]. Tout à coup, j'entendis un grondement sourd et prolongé et j'aperçus la cheminée de Villeboeuf. Alors je me souvins. Les habitants étaient là, sous la terre. Ah ! je comprends que d'une ville pareille soient sortis les plus implacables des révoltés. Je comprends quel pessimisme sombre, quelle horreur de la vie présente, quel désir ardent de lumière prochaine doivent hanter le cerveau de ces pauvres gens ! Ils passent des entrailles de la terre dans une atmosphère à peine plus claire et plus légère [...]. Les maisons, jamais neuves, noircies sitôt que bâties, abritent d'innombrables ménages d'ouvriers en des chambres sales, sans air, sans fleurs, sans lumière [...]. J'emportai de cette ville une vision d'enfer. Je sentais quelle sourde haine devait fermenter en ces tristes âmes. Mineurs qui vivent sans sortir de cette lugubre contrée, vivent-ils ? Et, sans savoir que, plusieurs mois après, les faits justifieraient mes pressentiments, j'avais la notion confuse que si jamais partait le signal d'une révolte, il viendrait des hommes forcément farouches que nos lois sociales ont parqué en ce lieu de boue [...] ».
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