Très belle lettre intime et personnelle de Guizot, après les élections de 1839
François Guizot (Nîmes, 1787/1874)Très belle lettre de Guizot, se confiant à son ami, après les élections de 1839 [Frédéric Salveton, qui était député du Puy-de-Dôme, fut battu].
"[...] J'ai beaucoup pensé, je pense beaucoup à vous. Certainement vous étiez, vous auriez été des plus utiles ; mais, ce qui est mille fois plus pour moi, vous étiez, vous êtes des meilleurs, des plus sensés et des plus fermes [...]. J'ai déjà beaucoup vécu ; je suis las de beaucoup d'hommes ; bien souvent, le soir en rentrant dans ma chambre, quand ma porte est fermée, je me repose avec délice, de toute figure et de toute conversation humaine. Grâce à Dieu, je n'en jouis que plus vivement de quelques uns, et je m'attache à eux d'autant plus que les autres me pèsent davantage [...]. Associez-moi à ce que vous verrez, à ce que vous penserez, à ce qui vous intéressera, pour vous-même ou pour le public. Depuis que j'ai perdu ce qui était ma vraie vie, le bonheur intérieur, j'appartiens beaucoup aux affaires ; elles ont été mon refuge ; mais je suis et je vis dans les affaires pour et avec mes amis, les hommes qui pensent, sentent et veulent comme moi.
Sauf pour vous et M. Molin, nos élections ont bien tourné. Nous avons vaincu & pas trop. Point de danger grave avec la Chambre qui revient. Vous voyez où nous en sommes de la crise ministérielle. Je suis prêt à entrer avec M. Du Châtel, pourvu que j'aie l'Intérieur, c'est à dire ma part de pouvoir politique & la place de sûreté d'où je pourrai faire contrepoids. Cela ou le Présidence de la Chambre, voilà, dans notre intérêt de cause comme dans le mien, les deux seules positions qui me conviennent. Je ne me prêterai à aucune autre. On voudrait bien se passer de nous. On l'essaye. Je doute qu'on le puisse ; et peut-être, depuis hier, commence-t-on à s'en apercevoir. Si le centre gauche, appuyé sur la gauche, forme seul le cabinet, nous serons plus de 200 pour l'observer & le contenir. Si nous entrons dans le cabinet, les 5/6e des 202 qui restent sur les 221 se rallieront à nous. Du reste, tout est encore incertain ; la crise fermente, et durera encore quelques jours. J'ai repris ma position de résistance à la gauche. C'est ce que je désirais. J'y resterai.
Ce qui vous est arrivé est une trahison. Plus par faiblesse que par préméditation. C'est le caractère de ce que l'on appelle les chefs de ce parti ; ils obéissent. J'en ai été plus désolé qu'étonné. Soignez votre position. Préparez vos armes. Le jour viendra [...]".
Vendu