REF: 8406

Rare lettre du protecteur de Corneille, François de Harlay, adressée à Richelieu.

François II Harlay (de) (Paris, 1585/1653)
Archevêque de Rouen de 1614 à 1651. Fin lettré, il fut le protecteur de Corneille.

Type de document : lettre autographe signée

Nb documents : 1 - Nb pages : 4 - Format : In-folio

Lieu : Château de Gaillon [Eure]

Date : 24/11/1633

Destinataire : Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1585/1642).

Etat : bon

Description :

Longue et belle lettre de François de Harlay, archevêque de Rouen et fin lettré, écrite au Cardinal de Richelieu de son château de Gaillon (surnommé le Parnasse des Muses) pour accompagner l'envoi d'une de ses oeuvres [la réponse de Richelieu a été publiée en note de bas de page dans la Lettre de Marion Delorme aux auteurs du Journal de Paris (1780), roman anonyme]. «Il n'appartient qu'à vous de faire en mesme temps espérer et de donner : ma condition qui a d'autres advantages de liberté d'esprit et de repos sur les incompréhensibles occupations de la vostre, a cela de fascheux qu'elle ne peut faire bien à autruy qu'avec le temps. C'est toute la différence que vostre lettre peut mettre entre la théorie et la pratique où il ira de ce qui me sera ordonné par vous, car pour le coeur il passe touttes ces sciences que l'eschole nous fait imaginer tout ensemble et théoriques et pratiques. Je vous oze bien asseurer que s'il nous estoit permis de vouloir la mort du pécheur, il y auroit desja une place vacante : et quand cela sera vous l'aurez en blanc, vostre plume la remplira; je ne seray pas si ozé que d'y toucher.
Si vous voyiez mon coeur il vous estonneroit plus que mes ouvrages qui sont trop glorieusement récompensés d'avoir un si grand esclat d'approbation. Tu satis ad vires Romana in carmina dandas. Je m'en garderay pourtant de le rejetter puisqu'il m'est si propre qu'au lieu de m'esblouyr, il m'esclaire, soit que cet objet dont Vostre Eminence parle, me communique son esprit, soit que l'on le reçoive mieux dans son esprit quand on se le propose pour sujet de ses ouvrages. Et c'est de ces rencontres d'esprit - là dont les grands hommes ont besoin, quocum docte rideant, de ceux qui ne sçavent où ils sont ny ce que les autres leur font faire : et une milliasse de Lucifers n'a pas empesché que cet oeil pénétrant n'ayt cherché à quel que prix que soit esté, un semblable divertissement dans ses idoles. Je croy que mes soteries vous confirmeront en cette opinion que j'y entends quelque chose, soit dans la fable soit dans la morale de nostre temps. J'en demanderois volontiers quelque seconde lecture en quelque desrobée. Permettez que je vous die plus par affection que par bonne opinion que j'en aye qu'il n'est pas mauvais pour vostre service que cette composition coure partout où va le latin. D'autres l'amplifieront ou, comme on fait des tableaux, le mettront en grand. Je pense que par le trait je n'ay pas mal rencontré à représenter ce qui doit estre rendu genéreusement (?) duquel d'ordinaire on dit trop ou trop peu. Permis à vous de nous octroyer l'advantage que nous avons de vous pouvoir louer et non pas de soulager nos solitudes : que deviendoit le corps de l'Estat si l'âme s'en retiroit si loin ? Vous estes obligé d'achever vostre histoire et de nous donner le loisir de l'escrire : quelque saleure qu'ayt la mer, elle n'envie pas la douceur des rivières ny leur cours moins agité, quelque suiet qu'elle ayt d'estre courroucée. C'est à vous à rouller le Ciel et à nous à en recuillir les influences. Elles sont si pleines qu'il n'est pas jusqu'à M. Pépin quy n'y participe : aussy estes-vous le seul qui pouvez dire : sapientibus et insipientibus debitor sum. Puisqu'il vous plaira que je suive d'ordre vostre lettre par l'exemple qu'elle me donne de reprendre tous les points de la mienne, la première obligation que je vous auray est de passer de la folie à la sagesse telle qu'il vous plaise attribuer à mon frère dont je ne doute point que vous ne puissiez faire un homme qui se picque de servir sous vous. Si vous vous meslez de tailler sa plume c'est sans doute qu'elle escrira bien, pour le moins ce qu'elle escrira sera net, il ne brouillera jamais le papier.
Mais, Monseigneur, après vostre éloquence, qui est-ce qui se voudroit mesler d'escrire ? Elle est telle qu'à l'instant par un effet bien contraire, elle me persuade que vous souffrez non seulement la mienne mais que vous prenez plaisir qu'elle entretienne la vostre. C'est ce qui me fait tant babiller. Et j'oserai de vous dire à la fin que par le présent de vostre lettre j'ay de quoy braver tous ceux de vos bons officiers que vous me voudriez faire espérer réserver aux autres tout ce qui n'est point de vous et donner ainsy ce qui est tout vous-mesme à celuy qui à moins ne se vanteroit pas de s'estre donné à vous et d'estre plus favorizé que tout le monde ensemble [...]». En P.S., il ajoute, "De nostre Parnasse de Gaillon où à l'ayr de vos chansons nos Muses tressaillent de joye ce 24 de novembre 1633. Mais elles demandent que vous leur fassiez part des sujets qui vous conviendront davantage. Autrement il n'y a compagnon fricasseur qui tienne. Il iroit de leur honneur de sembler, en se produisant d'elles-mesmes, demander la courtoisie». Il est joint une analyse complète de cette lettre, avec la réponse de Richelieu, et fait le lien avec la biographie de Corneille.

Adresse sur une feuillet séparé "Monseigneur l'Eminentissime Cardinal duc de Richelieu", avec deux cachets de cire rouge armoriés en parfait état.

Vendu